Expropriation de biens occupés et droit au relogement

Lorsque l’administration procède à l’expropriation de biens occupés, elle doit nécessairement proposer aux intéressés une solution de relogement avant de pouvoir exiger d’eux qu’ils libèrent les lieux.

Toutefois, la lecture des textes applicables en la matière est extrêmement difficile, en raison de leur imprécision et de l’intrication de dispositions éparses, contenues au sein de plusieurs codes. Un rapide tour d’horizon du droit applicable en la matière parait nécessaire.

L’existence d’un droit au relogement des occupants expropriés

Un droit au relogement institué au bénéfice des occupants expropriés

Le droit au relogement en cas d’expropriation est institué par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et le code de l’urbanisme.

L’article L423-5 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, contenu dans un chapitre « droit au relogement », renvoie aux dispositions du code de l’urbanisme en matière de relogement.

L’article L314-2 du code de l’urbanisme précise que « tous les occupants de locaux à usage d’habitation, professionnel ou mixte ont droit au relogement ».

Qui sont les occupants bénéficiaires du droit au relogement ?

L’article L314-1 alinéa 2 du code de l’urbanisme répond partiellement à cette question : il s’agit des « occupants au sens de l’article L. 521-1 du code de la construction et de l’habitation, ainsi que les preneurs de baux professionnels, commerciaux et ruraux ». Il convient dès lors de se reporter à l’article L521-1 du code de la construction et de l’habitation : « l’occupant est le titulaire d’un droit réel conférant l’usage, le locataire, le sous-locataire ou l’occupant de bonne foi des locaux à usage d’habitation et de locaux d’hébergement constituant son habitation principale ».

Ainsi, bénéficient d’un droit au relogement : les preneurs de baux professionnels, ruraux et commerciaux, les propriétaires occupants (qui disposent d’un droit réel conférant l’usage, selon les dispositions de l’article 544 du code civil), les locataires, les sous-locataires ou encore les occupants de bonne foi de locaux à usage d’habitation ou de locaux d’hébergement constituant l’habitation principale.

La consistance du droit au relogement des occupants expropriés

Quelle est la nature du droit au relogement des occupants expropriés ?

L’article L432-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique précise la nature du droit au relogement : « s’il est tenu à une obligation de relogement, l’expropriant en est valablement libéré par l’offre aux intéressés d’un local correspondant à leurs besoins et n’excédant pas les normes relatives aux habitations à loyer modéré ».

Le texte ne précise pas si l’offre doit être une offre de location ou une offre d’achat.

Notons que ce même article L432-2 prévoit, en son alinéa 2, une particularité concernant l’expropriation d’une maison individuelle : « lorsque l’expropriation a porté sur une maison individuelle, le relogement est, si cela est possible, offert dans un local de type analogue, n’excédant pas les normes relatives aux habitations à loyer modéré et situé dans la même commune ou dans une commune limitrophe ».

Comment le droit au relogement doit-il être mis en œuvre ?

L’article L314-7 alinéa 1 du code de l’urbanisme précise tout d’abord les conditions dans lesquelles l’offre de relogement doit être formulée : « toute offre de relogement, définitive ou provisoire, doit être notifiée au moins six mois à l’avance. L’occupant doit faire connaître son acceptation ou son refus dans un délai de deux mois, faute de quoi il est réputé avoir accepté l’offre ».

Un délai de 6 mois est donc octroyé aux occupants expropriés pour se positionner sur l’offre de relogement qui leur est adressée. Si le droit au relogement porte sur des locaux à usage d’habitation, il conviendra de formaliser deux offres distinctes (en ce sens : article L314-2 du code de l’urbanisme).

Si l’offre de relogement est acceptée, l’article L231-1 du code de l’expropriation précise qu’il incombe aux occupants de libérer les lieux dans un délai d’un mois suivant cet accord : « dans le délai d’un mois (…) de l’acceptation ou de la validation de l’offre d’un local de remplacement, les détenteurs sont tenus de quitter les lieux. Passé ce délai qui ne peut, en aucun cas, être modifié, même par autorité de justice, il peut être procédé à l’expulsion des occupants ».

Les conséquences de l’absence de mise en œuvre effective du droit au relogement des occupants expropriés

L’absence d’application d’un abattement pour occupation sur le montant de l’indemnité d’expropriation

L’article R423-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique précise que toute offre de relogement se doit d’être formulée auprès d’un propriétaire occupant avant la fixation des indemnités d’expropriation par le Juge de l’Expropriation :« il ne peut être offert un local de relogement à un propriétaire exproprié qui occupe tout ou partie de son immeuble que si cette offre a été acceptée par ce propriétaire avant la fixation des indemnités d’expropriation, afin de permettre au juge et, le cas échéant, à la cour d’appel, de tenir compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités d’expropriation ».

En d’autres termes, cela signifie que la mise en œuvre du droit au relogement avant la fixation du montant de l’indemnité d’expropriation permet à la personne publique expropriante d’appliquer un abattement pour occupation sur le montant de l’indemnité d’occupation. Si le droit au relogement n’est pas mis en œuvre avant la détermination de l’indemnité d’occupation, alors le bien est estimé en valeur libre d’occupation, sans abattement ; l’indemnité est alors plus élevée.

L’impossibilité de solliciter l’expulsion des occupants

Le Juge Judiciaire a fait de la mise en œuvre effective du droit au relogement une condition préalable à toute opération d’expulsion – et ce même si le bien a été estimé en valeur libre d’occupation.

Il s’agit là de la position adoptée le 27 février 2013 par la Cour de Cassation (Civ. 3e, 27 février 2013, n°12-11.995) et par la suite mise en œuvre par la Cour d’Appel de Bordeaux, sur renvoi après cassation (CA BORDEAUX, 25 juin 2014, n°13/04155).

L’absence de mise en œuvre du droit au relogement fait donc obstacle à toute possibilité de solliciter l’expulsion des occupants qui entendraient se maintenir dans les lieux postérieurement au paiement de l’indemnité d’expropriation.

Gauthier Jamais – Avocat en droit public, Docteur en droit public
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