Le gouvernement et les syndicats se sont réunis ce lundi 9 avril sur le thème « Comment définir un nouveau modèle de dialogue social ? ». Il s’agit là d’une occasion idéale pour évoquer l’état actuel de la négociation collective en matière de fonction publique, très différente de celle connue et pratiquée par les salariés. Première différence majeure : aucun accord collectif contraignant n’est à proprement parler connu des fonctionnaires. Il n’existe en effet en la matière aucune véritable convention collective au sens du droit privé. Pourtant, les organisations syndicales représentatives ont qualité pour participer à des négociations relatives aux conditions de travail des agents publics. Toutefois, ce mécanisme est tout à fait singulier puisque c’est au final l’état qui « fixe unilatéralement les conditions d’emploi de ses agents, ainsi que l’étendue de leurs droits et obligations »1FREYDER Arnaud. La fonction publique : chronique d’une révolution silencieuse. Paris : LGDJ, Lextenso éditions, 2013. 382 p. pp. 198-199..
La place de la négociation collective, au sein de la fonction publique, est donc tout à fait singulière. Afin d’analyser plus précisément le mécanisme de négociation actuellement en vigueur, il convient dans un premier temps de nous attarder sur la place actuelle des négociations au sein de la fonction publique. Ensuite, nous constaterons l’absence de toute portée juridique et normative des protocoles d’accord ainsi conclus. Enfin, nous pourrons constater que malgré l’absence de toute valeur juridique de ces protocoles d’accord, le législateur a tout de même cru bon d’encadrer leurs conditions de validité, annonçant peut-être par là-même l’arrivée de véritables négociations collectives contraignantes au sein de l’emploi public.
Le caractère facultatif de la négociation collective en matière de fonction publique
La loi du 5 juillet 2010 a complété le droit de négocier collectivement certains aspects du déroulement de la carrière des fonctionnaires. Pour autant, malgré cette évolution, il existe sur ce point une différence particulièrement marquée avec le droit à la négociation collective offerte par le droit du travail.
Ainsi, le droit à la négociation collective offert aux fonctionnaires n’a aucun caractère obligatoire : l’organisation même d’une négociation est purement facultative2En ce sens, voir notamment : FERKANE Ylias. « L’arrivée d’un droit de la négociation dans la fonction publique » in Droits du travail et des fonctions publiques : Unité(s) du droit ? Influences, convergences, harmonisations. Actes du colloque de Nanterre – Automne 2010, dir. TOUZEIL-DIVINA Mathieu. Paris : éditions l’Epitoge, Lextenso, 2012. 260 p. pp. 129-138.. Si l’article 8 bis du statut général de la fonction publique précise qu’il existe un droit à négociation, il n’y attribue pour autant aucun caractère contraignant. La situation est bien différente en droit privé, où la négociation collective y est obligatoire depuis la loi du 13 novembre 19823L’article 4 de cette loi est notamment venu apporter un nouvel article L132-12 au code du travail, qui précise que « Les organisations qui sont liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, se réunissent, au moins une fois par an, pour négocier sur les salaires et, au moins une fois tous les cinq ans, pour examiner la nécessité de réviser les classifications ».. Aujourd’hui, cette obligation de négocier périodiquement les conditions de travail des salariés est prévue aux articles L2241-1 et suivants du code du travail.
Le droit de la négociation collective est donc, en matière privée, un véritable droit créance, soit un « droit à ». Il est donc possible, si nécessaire par voie judiciaire, d’exiger la mise en œuvre de ce droit. En matière publique, il s’agit au contraire d’un droit liberté, soit un « droit de »4En ce sens : PICHARD Marc. Le droit à : étude de législation française. Paris : Economica, 2006. 566 p. (cité par FERKANE Ylias, précité).. Autrement dit, si la négociation collective s’impose en droit privé, elle n’est que facultative pour les fonctionnaires. Elle ne constitue qu’une simple possibilité.
En d’autres termes, les représentants syndicaux des fonctionnaires n’ont aucune possibilité pour initier une négociation. Ces derniers sont par conséquent soumis au bon vouloir du gouvernement qui décide unilatéralement de la tenue ou non de négociations collectives. Le Conseil d’État, au sein de son rapport annuel rendu en 2003, pointait déjà cette lacune :
« aucun texte ne prévoit une périodicité obligatoire pour engager une négociation sur les différents sujets de fonction publique, si bien que la négociation est octroyée par le Gouvernement, et même que la question de savoir si et quand il convient d’engager une négociation sur tel ou tel sujet devient en soi une cause de discussion, de tiraillement voire de conflit entre pouvoirs publics et organisations syndicales et entre celles-ci. Les pouvoirs publics ont souvent davantage recours à la négociation pour montrer leur capacité d’avoir un dialogue approfondi avec les organisations syndicales que parce qu’ils sont convaincus de la nécessité de passer par la voie de la négociation ; ils n’y ont recours de ce fait qu’avec parcimonie, car ils savent que dès qu’une négociation est ouverte, ils sont obligés d’aller jusqu’au bout, sauf à devoir admettre un échec politique, ou devoir « payer le prix » d’un accord » 5Conseil d’État. Rapport public 2003, Perspectives pour la fonction publique. Paris : La Documentation française, 2003, 448 p., p. 333..
Le mécanisme de la négociation collective mis en œuvre dans le cadre de la fonction publique est donc revêtu d’une part d’unilatéralisme puisque seul le gouvernement dispose de la faculté de provoquer une négociation et d’en déterminer l’étendue et le sujet. Au surplus, l’issue de ces négociations est également particulière en ce qu’elle ne présente aucun caractère contraignant pour les parties.
L’absence de portée normative des accords collectifs conclus en matière de fonction publique
Les fonctionnaires ne sont titulaires que d’un droit à la négociation collective et non d’un quelconque droit créance au contraire des salariés relevant du droit privé. Les organisations syndicales représentatives des fonctionnaires restent donc soumises au bon vouloir du gouvernement quant à la tenue d’éventuelles négociations.
Il ne s’agit cependant pas là de la seule différence entre ces deux régimes. En effet, le Conseil d’État a notamment rappelé au sein d’un arrêt rendu le 19 juin 2006 que les négociations collectives menées en matière de fonction publique aboutissent à la conclusion d’un protocole d’accord qui présente « le caractère d’un simple relevé de conclusions, établi à l’issue de négociations menées avec ces organisations syndicales et destiné à orienter le comportement des partenaires sociaux dans leurs relations réciproques ; qu’un tel document n’a pas le caractère d’un acte susceptible de recours devant le juge administratif » 6CE, 19 juin 2006, Syndicat national unifié des impôts, n°279877. Dr. Soc., 2006, n°09-10, p. 890, concl. Y. Struillou. Dr. Soc., 2006, n°09-10, p. 897, comm. P.-H. Antonmattei.. Autrement dit, les protocoles d’accord signés à l’issue des négociations collectives prévues par le statut général de la fonction publique n’ont aucune valeur juridique contraignante et ne peuvent donc être considérés comme des actes faisant griefs susceptibles d’être contestés par devant la juridiction administrative.
Les protocoles d’accord conclus entre les organisations syndicales représentatives et les pouvoirs publics n’ont donc aucune portée normative.
Des conditions de validité strictes pour des actes sans aucune valeur juridique
Nous l’avons vu, les protocoles d’accord conclus entre le gouvernement et les organisations syndicales n’ont aucune valeur juridique. Pourtant, à l’occasion de sa réforme du dialogue social dans la fonction publique adoptée en 2010, « le législateur a réussi un exploit : définir les conditions de validité d’une norme qui reste à ce jour dépourvue… de portée normative »7MARC Emmanuelle, STRUILLOU Yves. « La loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique : une mutation inachevée du système de relations professionnelles ». DA, 2010, n°11, étude 20..
En effet, par cette loi le législateur a entendu définir les critères de validité des protocoles d’accord signés à l’issue des négociations collectives. Ainsi, l’article 8 bis IV du statut général de la fonction publique précise désormais qu’un « accord est valide s’il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales de fonctionnaires ayant recueilli au moins 50 % du nombre des voix lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l’accord est négocié ». Il s’agit donc là ni plus ni moins que d’un véritable « oxymoron juridique »8MARC Emmanuelle, STRUILLOU Yves. « La loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique : une mutation inachevée du système de relations professionnelles ». DA, 2010, n°11, étude 20., puisqu’ont été définies les conditions de validité d’actes intrinsèquement dépourvus de toute portée normative.
Si « s’occuper de hiérarchie d’actes sans valeur juridique pourrait passer comme un non-sens », Monsieur le Professeur Didier JEAN-PIERRE y voyait toutefois là, en 2010, la possible amorce d’une véritable négociation collective contraignante au sein de l’emploi public administratif9JEAN-PIERRE Didier. « La rénovation du dialogue social dans la fonction publique ». JCP A, 2010, n°38, 2284.. Huit ans plus tard, la concertation initiée ce lundi 9 avril par le gouvernement sera-t-elle assez ambitieuse pour oser envisager une telle réforme ? L’avenir nous le dira…
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Avocat en droit public au Barreau de Lille, Docteur en droit public, Maître Gauthier JAMAIS forme, conseille et défend les administrations, les agents publics, les entrepreneurs et les particuliers. Il intervient dans toute la France métropolitaine, mais aussi dans les territoires et départements d’outre-mer.
Notes et références
↑1 | FREYDER Arnaud. La fonction publique : chronique d’une révolution silencieuse. Paris : LGDJ, Lextenso éditions, 2013. 382 p. pp. 198-199. |
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↑2 | En ce sens, voir notamment : FERKANE Ylias. « L’arrivée d’un droit de la négociation dans la fonction publique » in Droits du travail et des fonctions publiques : Unité(s) du droit ? Influences, convergences, harmonisations. Actes du colloque de Nanterre – Automne 2010, dir. TOUZEIL-DIVINA Mathieu. Paris : éditions l’Epitoge, Lextenso, 2012. 260 p. pp. 129-138. |
↑3 | L’article 4 de cette loi est notamment venu apporter un nouvel article L132-12 au code du travail, qui précise que « Les organisations qui sont liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, se réunissent, au moins une fois par an, pour négocier sur les salaires et, au moins une fois tous les cinq ans, pour examiner la nécessité de réviser les classifications ». |
↑4 | En ce sens : PICHARD Marc. Le droit à : étude de législation française. Paris : Economica, 2006. 566 p. (cité par FERKANE Ylias, précité). |
↑5 | Conseil d’État. Rapport public 2003, Perspectives pour la fonction publique. Paris : La Documentation française, 2003, 448 p., p. 333. |
↑6 | CE, 19 juin 2006, Syndicat national unifié des impôts, n°279877. Dr. Soc., 2006, n°09-10, p. 890, concl. Y. Struillou. Dr. Soc., 2006, n°09-10, p. 897, comm. P.-H. Antonmattei. |
↑7, ↑8 | MARC Emmanuelle, STRUILLOU Yves. « La loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique : une mutation inachevée du système de relations professionnelles ». DA, 2010, n°11, étude 20. |
↑9 | JEAN-PIERRE Didier. « La rénovation du dialogue social dans la fonction publique ». JCP A, 2010, n°38, 2284. |