Abandon de poste et fonction publique : le piège de la mise en demeure

L’abandon de poste dans la fonction publique correspond à l’hypothèse où un agent public, par son comportement, manifeste sa volonté d’interrompre tout lien avec le service. Concrètement, cela se traduit par une absence prolongée et injustifiée de l’intéressé. Le fonctionnaire peut alors être radié des cadres sans procédure disciplinaire préalable. La perte de cette garantie procédurale entrainant pour l’intéressé des conséquences extrêmement graves, elle nécessite une mise en demeure préalable.

La mise en demeure préalable, nécessaire avant toute radiation des cadres pour abandon de poste, doit obligatoirement répondre à plusieurs conditions, qui ont notamment été listées par le Conseil d’État au sein de son arrêt Casagranda, rendu le 11 décembre 1998 (CE, 11 décembre 1998, Casagranda, n°147511 et 147512. Leb.). Particulièrement strictes, ces conditions peuvent constituer un piège pour l’administration qui ne se montrerait pas suffisamment vigilante. En effet, si la mise en demeure s’avère irrégulière, la radiation des cadres consécutive est elle-même entachée d’illégalité.

Les conditions de validité de la mise en demeure préalable sont au nombre de trois.

Abandon de poste et mise en demeure écrite de rejoindre son poste ou de reprendre son service

Le juge administratif exige, avant toute radiation des cadres pour abandon de poste, qu’une mise en demeure écrite de rejoindre son poste ou de reprendre son service soit adressée au fonctionnaire dont l’absence prolongée est injustifiée. Le Juge Administratif considère en effet que « la mise en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service adressée à l’agent (…) doit prendre la forme d’un document écrit, notifié à l’intéressé » (en ce sens : CE, 10 octobre 2007, Centre hospitalier intercommunal André Grégoire, n°271020 ; ou encore : CAA Lyon, 4 mars 2008, n°05LY00984 ; CE 7 mars 2008, Cotillon, n° 292475).

Ainsi, et à titre d’illustration, une simple mise en garde formulée par oral ne saurait suffire.

Abandon de poste et mise en demeure octroyant un délai approprié à l’agent

La mise en demeure adressée à l’agent en situation d’absence irrégulière doit lui octroyer un délai suffisant pour se conformer à l’injonction qui lui est faite de reprendre son poste. A défaut, toute radiation des cadres serait jugée illégale.

Qu’entend-on par « délai approprié » ? La réponse à cette question n’est pas aisée, surtout que le Juge Administratif précise « qu’il appartient à l’administration de [le] fixer ».

En pratique, le délai prévu au sein de la mise en demeure doit tenir compte des délais d’acheminement postaux. Le délai imparti ne doit donc pas expirer avant que l’agent ait été en mesure de prendre connaissance de la notification qui lui est adressée. Rappelons à cet effet qu’un courrier recommandé peut rester en instance auprès des services postaux pendant une durée de 15 jours. Il est alors considéré comme notifié à l’intéressé au jour de son retrait (en ce sens, pour illustration : CE, 2 mai 1980, n°18391).

Abandon de poste et mise en demeure précisant l’absence de toute procédure disciplinaire

Enfin, la mise en demeure doit obligatoirement préciser qu’à défaut de se soumettre à l’injonction qui lui est faite, l’agent encourt une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Cette précision est exigée à peine d’irrégularité de la mise en demeure et, partant, d’illégalité de la décision de radiation des cadres.

Le Conseil d’État l’a clairement jugé au sein d’un arrêt rendu le 15 juin 2005 : les « mises en demeure [n’informaient] pas [l’agent] que cette radiation pouvait être mise en œuvre sans qu’il bénéficie des garanties de la procédure disciplinaire ; qu’il suit de là que la décision [prononçant] la révocation de [l’agent] pour abandon de poste a été prise sur une procédure irrégulière » (CE, 15 juin 2005, n°259743).

Ainsi, et en d’autres termes, est illégale toute décision de radiation des cadres prise après mise en demeure ne précisant pas explicitement à l’agent qu’il s’expose, à défaut de se soumettre à l’injonction qui lui est adressée, à une radiation des cadres sans procédure disciplinaire.

La procédure disciplinaire constituant une garantie fondamentale pour l’agent, un tel vice ne parait pas de nature à être neutralisé.

Gauthier Jamais – Avocat en droit public, Docteur en droit public
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