La théorie des actes détachables du contrat, d’origine jurisprudentielle, a longtemps été la seule voie d’action ouverte aux tiers à l’encontre des contrats administratifs. Sur cette base, ils ne pouvaient qu’envisager un recours en excès de pouvoir à l’encontre non du contrat mais des actes qui en sont détachables. D’abord admise pour les parties au contrats (CE, 11 décembre 1903, Commune de Gorre), cette théorie a rapidement été étendue aux tiers (CE, 4 août 1905, Martin).
Afin d’accroitre les possibilités de recours des tiers à l’encontre des contrats administratifs, le juge administratif a débuté un revirement jurisprudentiel par son arrêt Ville de Lisieux, rendu le 30 octobre 1998 (n°149662). A cette occasion, le Conseil d’État a admis la possibilité pour un tiers de contester la validité du contrat portant recrutement d’un agent public, justifiant toutefois cette possibilité par « la nature particulière des liens qui s’établissent entre une collectivité publique et ses agents non titulaires ». L’ouverture d’une voie de recours directe des tiers à l’encontre de l’ensemble des contrats administratifs était encore lointaine.
En 2007, par son arrêt Tropic Travaux Signalisation (n°291545), le Conseil d’État autorise pour la première fois un concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif à saisir le juge du contrat d’un recours de pleine juridiction. C’est finalement par son arrêt Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014 (n°358994) que le Conseil d’État a parachevé son évolution jurisprudentielle en admettant que « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ». Depuis cet arrêt, tout tiers intéressé peut donc contester auprès du juge administratif la validité d’un contrat administratif.
Que reste-t-il aujourd’hui de la théorie des actes détachables des contrats ? Est-il encore possible d’exercer un recours en excès de pouvoir à leur encontre ? Afin de répondre à cette question, il convient d’envisager séparément les actes détachables des contrats administratifs et les actes détachables des contrats de droit privé.
Recours en excès de pouvoir et actes détachables des contrats administratifs
Fin de la théorie des actes détachables des contrats administratifs
Par son arrêt précité Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014, le Conseil d’État a mis un terme à toute possibilité de contester par la voie du recours en excès de pouvoir les actes détachables des contrats administratifs : « la délibération autorisant la conclusion du contrat et (…) la décision de (…) signer [le contrat], ne [peuvent] être contestée[s] qu’à l’occasion du recours [dirigé contre le contrat] ». La solution est claire et ne souffre d’aucune interprétation.
Survivance limitée de la théorie des actes détachables des contrats administratifs
Pour autant, on note une survivance de la théorie des actes détachables au travers des actes portant approbation du contrat. Le 23 décembre 2016, au sein d’un arrêt ASSECO-CFDT Languedoc-Roussillon, le Conseil d’État a en effet indiqué « qu’indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité (…) les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat ». La portée d’un tel recours est toutefois relativement limitée, puisqu’il est seulement possible à cette occasion de soulever « des moyens tirés de vices propres à l’acte d’approbation, et non des moyens relatifs au contrat lui-même ».
Au surplus, la Cour Administrative d’Appel de Douai a précisé au sein d’un arrêt rendu le 18 mai 2017 (n°16DA01411), que « les actes d’approbation d’un contrat (…) concernent ceux qui portent sur des contrats déjà signés et qui conditionnent leur entrée en vigueur et non ceux, même s’il est indiqué qu’ils approuvent le contrat, qui en réalité sont relatifs à l’autorisation requise préalablement à la signature du contrat ».
Ainsi, et en d’autres termes, à ce jour, le recours en excès de pouvoir n’est plus possible, concernant les contrats administratifs, que contre les actes d’approbation du contrat – c’est-à-dire des actes postérieurs à la signature du contrat et nécessaires à son entrée en vigueur.
Recours en excès de pouvoir et actes détachables des contrats de droit privé
La jurisprudence Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014 limite ses effets aux seuls contrats administratifs. Dès lors, le juge administratif peut toujours être saisi d’un recours en excès de pouvoir dirigé à l’encontre d’un acte détachable d’un contrat de droit privé.
A titre d’illustration, par un arrêt rendu le 5 décembre 2005, le Conseil d’État a rappelé que « la juridiction administrative est seule compétente pour connaître des demandes d’annulation d’une délibération d’un conseil municipal ou d’un arrêté du maire, même si l’objet de ces décisions est d’autoriser ou de passer un contrat portant sur la gestion du domaine privé de la commune » (CE 5 décembre 2005, Commune de Pontoy, n°270948. Leb. p. 548).
Plus récemment encore, par un arrêt du 27 octobre 2015, le Conseil d’État – pour des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la jurisprudence Tarn-et-Garonne précitée – a de nouveau affirmé la compétence de la juridiction administrative concernant les actes détachables d’un contrat de droit privé (CE, 27 octobre 2015, n°386595). Cet arrêt précise en effet que la « décision de sélection de l’acquéreur, acte détachable du contrat de droit privé de cession (…), est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ».
La voie du recours en excès de pouvoir est donc toujours ouverte à l’encontre des actes détachables des contrats de droit privé.
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Avocat en droit public au Barreau de Lille, Docteur en droit public, Maître Gauthier JAMAIS forme, conseille et défend les administrations, les agents publics, les entrepreneurs et les particuliers. Il intervient dans toute la France métropolitaine, mais aussi dans les territoires et départements d’outre-mer.