Les agents au service de l’administration : une typologie juridique complexe

L’efficacité de l’action administrative se mesure notamment par la qualité de sa gestion et des moyens d’action mis à sa disposition.

Dans cette optique, le personnel de l’administration est très certainement le rouage essentiel de cette efficacité. Au centre de l’action administrative, les agents sont nécessaires et indispensables à son fonctionnement. Leur importance quantitative – environ 20 % de l’emploi total en France 1DGAFP. Faits et chiffres : l’essentiel, édition 2013. La Documentation Française, 2013, 50 p. p.3.  Plus précisément, la DGAFP relève que les agents publics représentent 20,4 % de l’emploi total en France, soit 5,339 millions d’emplois. – renforce leur influence.

Ce personnel, qualifié sans distinction de « fonctionnaire » par le grand public 2PLANTEY Alain. La fonction publique, traité général. Paris : Litec, 2011. 826 p. p. 21., recouvre une réalité bien plus large, et surtout bien plus complexe : les emplois publics peuvent en effet être occupés par des fonctionnaires 3En ce sens, voir : Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. JORF, 14 juillet 1983, p. 2174., régis par un statut et généralement recrutés sur concours, mais aussi et notamment par des vacataires4Les administrations ont la possibilité de recruter des agents qui n’ont pas vocation à occuper un quelconque emploi, temporaire ou permanent, mais à n’effectuer qu’une tache ponctuelle. Il s’agit des vacataires, qui constituent une catégorie particulière d’agents contractuels. Il n’en existe aucune définition légale. C’est la jurisprudence administrative qui, progressivement, a mis au point la définition et les critères applicables aux vacataires., des auxiliaires5En ce sens, voir notamment : Ordonnance n°45-1006 du 21 mai 1945 relative à la titularisation des employés auxiliaires temporaires de l’état. JORF, 22 mai 1945, p. 2882., des contractuels6 En ce sens, voir notamment : Décret n°88-545 du 6 mai 1988 relatif au recrutement direct dans certains emplois de la fonction publique territoriale, en application de l’article 47 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. JORF, 7 mai 1988, p. 6391., des supplétifs7En ce sens, et à titre d’illustration : CAA Douai, 21 mars 2013, n°11DA01394. La Cour évoque en l’espèce la situation d’un agent dit « supplétif ». ou encore des intérimaires8En ce sens, et à titre d’illustration : CE, 18 janvier 1980, Syndicat CFDT des postes et télécommunications du Haut Rhin, n°07636. Le Conseil d’État reconnaît, au sein de cet arrêt, la possibilité pour une administration de recruter des intérimaires..

Les agents au service de l’administration revêtent donc de nombreuses dénominations. Sur le plan pratique, il est indispensable de pouvoir se fier à une typologie juridique précise de ces agents afin notamment d’en assurer une gestion optimale ou même, en cas de contentieux, de déterminer avec certitude l’ordre de juridiction compétent.

C’est pourquoi nous allons tenter une approche rapide des différents types d’agents au service de l’administration. Deux principaux critères de distinction paraissent nécessairement devoir être retenus : l’acte à l’origine du recrutement et le droit applicable.

Le critère de l’acte à l’origine du recrutement

Une première typologie juridique des agents au service de l’administration peut être réalisée en se basant sur l’acte à l’origine du recrutement :

  • D’un côté, les fonctionnaires, régis par un statut ;
  • De l’autre, les personnels non statutaires, qualifiés d’agents contractuels.

Si l’identification des agents titulaires ne pose pas de grande difficulté, comment isoler les agents contractuels ? Doivent-ils être définis négativement ?

Une première approche pourrait consister à définir ces agents contractuels par le biais de l’instrument juridique de leur recrutement. Ainsi, tout agent qui serait recruté par le biais d’une convention synallagmatique serait de facto un agent contractuel. A contrario, en l’absence de contrat, l’agent ne pourrait être qualifié d’agent contractuel. Une telle définition serait cependant lacunaire, puisqu’il est fréquent – et juridiquement possible – que des agents non statutaires soient recrutés par voie unilatérale, et donc sans la rédaction d’un quelconque contrat. La définition précédemment exposée serait alors incomplète, puisque le contrat à lui seul ne saurait pas englober l’intégralité des situations pratiques rencontrées.

Les agents contractuels ne doivent donc pas être définis en rapport avec l’existence matérielle d’un instrument de recrutement – qui au demeurant peut être inexistant puisque les engagements oraux sont admis9En ce sens, voir notamment : CE, 17 janvier 1996, Mme Thoury, n°152713. AJFP, 1996, n°1, p. 46, note B. Mathieu.. Au contraire, ce qui distingue les agents contractuels des fonctionnaires, c’est la présence de ce qui constitue la substance même du contrat : le consentement. Afin de s’en convaincre, il convient de revenir à la définition du contrat. L’article 1101 du Code Civil le définit comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Le dictionnaire Larousse, quant à lui, définit la convention comme «  ce qui est admis d’un commun accord, tacite ou explicite ». En d’autres termes, l’élément essentiel d’un contrat ne réside en rien dans sa forme qui n’est que la traduction d’un accord de volontés qui constitue l’essence du contrat. L’accord de volontés doit donc également constituer la base de la définition d’un agent contractuel.

Il nous est donc désormais possible de définir précisément ce qu’est un agent contractuel de l’administration : un agent de l’administration dont les modalités de recrutement résultent d’un accord de volontés. Ainsi, et à titre d’exemple, l’agent contractuel recruté par acte unilatéral l’est à l’issue d’une négociation sur ses conditions de travail, à l’issue d’un accord entre les parties. Dans ce cas de figure, l’acte unilatéral de recrutement peut être considéré comme la formalisation d’une rencontre de volontés. Le fonctionnaire, quant à lui, est soumis à un statut, à l’autorité de l’administration qui dispose sur lui d’un important pouvoir de direction qu’elle peut exercer sans forcément rechercher son accord.

Par suite, se pose logiquement la question de définir plus généralement le contrat conclu entre un agent et l’administration. Sur les bases précédemment exposées, il nous est possible de proposer la définition suivante : le contrat liant l’autorité administrative gestionnaire d’un service public à son agent est un acte oral, unilatéral ou synallagmatique scellant l’accord de volontés des parties sur les conditions de travail qu’elles entendent mettre en œuvre.

Le critère du droit applicable aux agents

Une seconde typologie juridique des agents au service de l’administration peut être effectuée selon le droit qui leur est applicable : droit public ou droit privé.

Droit public pour les fonctionnaires

Les fonctionnaires sont soumis à un statut. Ils relèvent donc par essence du droit public.

Ce droit est toutefois éparse : les statuts des trois fonctions publiques ne représentent en effet qu’une infime partie du régime juridique applicable aux fonctionnaires. Ils en garantissent toutefois l’homogénéité en fixant nombre de principes généraux.

Droit public ou droit privé pour les agents contractuels

Le cas des agents contractuels est quant à lui beaucoup plus complexe. Ils forment en effet une catégorie d’agents très hétérogène.

Les agents contractuels relevant du droit public

Le droit applicable aux agents contractuels est différent selon que le service public en cause est administratif ou industriel et commercial10Dans le but d’assurer des services peu rentables ou de pallier certaines carences, l’administration s’est progressivement de plus en plus immiscée dans des domaines autrefois réservés aux seules personnes privées. Dès le 22 janvier 1923, dans son fameux arrêt Bac d’Eloka, le Tribunal des Conflits actait cette évolution en distinguant les services publics administratifs des services publics industriels et commerciaux, relevant de la compétence du juge judiciaire (TC, 22 janvier 1921, Société Bac d’Eloka, n°00706). Ainsi, le Tribunal des Conflits a considéré que lorsque l’administration agit comme un opérateur privé, elle doit tout naturellement être soumise aux règles du droit privé.. Ce principe a été posé par le Tribunal des Conflits au sein de son célèbre arrêt Berkani11TC, 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres contre conseil des prud’hommes, dite Berkani, n°03000. Leb., p. 536. AJDA, 1996, p. 355, chron. J.H. Stahl et D. Chauvaux. CJEG, 1997, p. 35, note J.F. Lachaume. D., 1996, p. 598, note Y. Saint-Jours. AJFP, 1996, n°2, p. 4. AJFP, 1997, n°3, p.15, commentaire P. Boutelet. DA, 1996, n°319, obs. J.B. A. Dr. Soc., 1996, p.735, obs. X. Prétot. JCP, 1996, n°22664, note P. Moudoudou. LPA, 1997, n°7, note S. Alberelli-Francfort. RFDA, 1996, p.819, concl. P. Martin.. Le Tribunal y précise que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur emploi ». Ainsi, les agents contractuels recrutés par une personne publique gérant un service public administratif relèvent pour l’essentiel du droit administratif, seules quelques exceptions législatives à ce principe étant à noter12On pense ici notamment aux contrats aidés, qui relèvent, par détermination de la loi, du droit privé, et ce même s’ils participent à la mise en œuvre d’un service public administratif. En ce sens, et pour illustration : VULBEAU Alain. « Les contrats aidés, entre complexité et précarité ». Informations sociales, 2007, 6, n°142, pp. 75-76..

En tout état de cause, les agents contractuels relevant du droit public ne forment pas une catégorie homogène : le régime juridique applicable à ces agents, s’il relève toujours de la compétence du juge administratif, peut prendre des formes très différentes.

Les agents contractuels relevant du droit privé

Au contraire, les agents contractuels travaillant pour le compte d’un service public industriel et commercial sont soumis au droit privé, à l’exception du directeur du service et du comptable13En ce sens, pour illustration : CE, 26 janvier 1923, Robert de Lafrégeyre, n°62529.. Ces agents relèvent par conséquent, en cas de contentieux, de la compétence du conseil de prud’hommes. Leur recrutement n’est en rien dérogatoire du droit commun. Il en va de même pour leurs conditions de travail, même si celles-ci se doivent d’intégrer certains enjeux du service public qu’ils mettent en œuvre comme le principe de laïcité14En ce sens, et à titre d’illustration : Cass. ass. plén., 25 juin 2014, Baby Loup, n°13-28369. AJDA, 2014, p. 1293. AJDA, 2014, p. 1842, note S. Mouton et T. Lamarche. D., 2014, p.1386. D., 2014, p. 1536, entretien. C. Radé. AJCT, 2014, p. 511, obs. F. de la Morena. AJCT, 2014, p. 337, tribune F. de la Morena. Dr. Soc., 2014, p. 811, étude J. Mouly. RTD civ., 2014, p. 630, obs. J. Hauser. RFDA, 2014, p. 954, note P. Delvolvé.. Pour le reste, ils ne présentent pas de spécificité du fait de la nature publique de leur employeur.

Conclusion

Le personnel de l’administration est tout aussi diversifié que peut l’être l’action administrative. Particulièrement complexe à appréhender dans sa globalité, ce personnel se répartit schématiquement de la sorte :

  • D’une part, les fonctionnaires. Régis par un statut, ils sont par essence soumis au droit public ;
  • D’autre part, les agents contractuels, dont l’acte à l’origine du recrutement peut-être oral, unilatéral ou synallagmatique  :
    • S’ils travaillent pour le compte d’un service public industriel et commercial, ils relèvent par principe du droit privé du travail ;
    • S’ils travaillent pour le compte d’un service public administratif, ils relèvent par principe du droit public.

Cette première approche des types d’agents au service de l’administration est extrêmement schématique. Si elle n’est en rien exhaustive, cette typologie juridique a uniquement pour objet de mettre en exergue la complexité et la diversité de cet emploi indispensable à la structuration de notre société.

Notes et références

Notes et références
1 DGAFP. Faits et chiffres : l’essentiel, édition 2013. La Documentation Française, 2013, 50 p. p.3.  Plus précisément, la DGAFP relève que les agents publics représentent 20,4 % de l’emploi total en France, soit 5,339 millions d’emplois.
2 PLANTEY Alain. La fonction publique, traité général. Paris : Litec, 2011. 826 p. p. 21.
3 En ce sens, voir : Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. JORF, 14 juillet 1983, p. 2174.
4 Les administrations ont la possibilité de recruter des agents qui n’ont pas vocation à occuper un quelconque emploi, temporaire ou permanent, mais à n’effectuer qu’une tache ponctuelle. Il s’agit des vacataires, qui constituent une catégorie particulière d’agents contractuels. Il n’en existe aucune définition légale. C’est la jurisprudence administrative qui, progressivement, a mis au point la définition et les critères applicables aux vacataires.
5 En ce sens, voir notamment : Ordonnance n°45-1006 du 21 mai 1945 relative à la titularisation des employés auxiliaires temporaires de l’état. JORF, 22 mai 1945, p. 2882.
6 En ce sens, voir notamment : Décret n°88-545 du 6 mai 1988 relatif au recrutement direct dans certains emplois de la fonction publique territoriale, en application de l’article 47 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. JORF, 7 mai 1988, p. 6391.
7 En ce sens, et à titre d’illustration : CAA Douai, 21 mars 2013, n°11DA01394. La Cour évoque en l’espèce la situation d’un agent dit « supplétif ».
8 En ce sens, et à titre d’illustration : CE, 18 janvier 1980, Syndicat CFDT des postes et télécommunications du Haut Rhin, n°07636. Le Conseil d’État reconnaît, au sein de cet arrêt, la possibilité pour une administration de recruter des intérimaires.
9 En ce sens, voir notamment : CE, 17 janvier 1996, Mme Thoury, n°152713. AJFP, 1996, n°1, p. 46, note B. Mathieu.
10 Dans le but d’assurer des services peu rentables ou de pallier certaines carences, l’administration s’est progressivement de plus en plus immiscée dans des domaines autrefois réservés aux seules personnes privées. Dès le 22 janvier 1923, dans son fameux arrêt Bac d’Eloka, le Tribunal des Conflits actait cette évolution en distinguant les services publics administratifs des services publics industriels et commerciaux, relevant de la compétence du juge judiciaire (TC, 22 janvier 1921, Société Bac d’Eloka, n°00706). Ainsi, le Tribunal des Conflits a considéré que lorsque l’administration agit comme un opérateur privé, elle doit tout naturellement être soumise aux règles du droit privé.
11 TC, 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres contre conseil des prud’hommes, dite Berkani, n°03000. Leb., p. 536. AJDA, 1996, p. 355, chron. J.H. Stahl et D. Chauvaux. CJEG, 1997, p. 35, note J.F. Lachaume. D., 1996, p. 598, note Y. Saint-Jours. AJFP, 1996, n°2, p. 4. AJFP, 1997, n°3, p.15, commentaire P. Boutelet. DA, 1996, n°319, obs. J.B. A. Dr. Soc., 1996, p.735, obs. X. Prétot. JCP, 1996, n°22664, note P. Moudoudou. LPA, 1997, n°7, note S. Alberelli-Francfort. RFDA, 1996, p.819, concl. P. Martin.
12 On pense ici notamment aux contrats aidés, qui relèvent, par détermination de la loi, du droit privé, et ce même s’ils participent à la mise en œuvre d’un service public administratif. En ce sens, et pour illustration : VULBEAU Alain. « Les contrats aidés, entre complexité et précarité ». Informations sociales, 2007, 6, n°142, pp. 75-76.
13 En ce sens, pour illustration : CE, 26 janvier 1923, Robert de Lafrégeyre, n°62529.
14 En ce sens, et à titre d’illustration : Cass. ass. plén., 25 juin 2014, Baby Loup, n°13-28369. AJDA, 2014, p. 1293. AJDA, 2014, p. 1842, note S. Mouton et T. Lamarche. D., 2014, p.1386. D., 2014, p. 1536, entretien. C. Radé. AJCT, 2014, p. 511, obs. F. de la Morena. AJCT, 2014, p. 337, tribune F. de la Morena. Dr. Soc., 2014, p. 811, étude J. Mouly. RTD civ., 2014, p. 630, obs. J. Hauser. RFDA, 2014, p. 954, note P. Delvolvé.
Gauthier Jamais – Avocat en droit public, Docteur en droit public
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